Critique de la pièce :
J’avais vu Caroline Rochefort dans « Quand souffle le vent du nord », et j’avais trouvé son interprétation excellente. Aussi, en voyant qu’elle interprétait le rôle titre de « Anna Politkovskaïa - femme non rééducable » j’ai tout de suite eu envie d’aller la voir, sachant que la pièce serait évidemment d’un tout autre registre. Le fait qu’Anna Politkovskaïa ait existé était une motivation supplémentaire pour aller la voir.
Anna Politkovskaïa (Caroline Rochefort) entre en scène, sur le sol, une cible est peinte. Elle évoque les nombreux prix qu’elle a remportés en tant que journaliste, y compris celui qui lui a été décerné à titre posthume.
Elle rappelle les grands événements ayant abouti à la Russie actuelle. Mikhaïl Gorbatchev en 1985 avec sa politique de glasnost, la fin de l’Union Soviétique en 1991, début du rêve et de l’espoir. La dissolution du KGB que certains regretteront par la suite, la désillusion avec Boris Eltsine. Et pour finir, l’arrivée de Poutine en 1999. Cette année là, Anna Politkovskaïa se rend en Tchétchénie où la guerre a repris depuis septembre. En y voyant ce qui s’y déroule, elle veut que l’on sache ce qui se passe là-bas. Elle publie régulièrement dans Novaïa Gazeta, journal indépendant, des articles relatant les exactions commises par l’armée russe. Ces jeunes soldats viennent en Tchétchénie pour l’argent, ils constituent les « unités de nettoyage ». Anna Politkovskaïa interviewe l’un des leurs (Pierre Berçot qui interprète de nombreux rôles dans la pièce).
- Tu veux faire quoi dans la vie ? lui demande-t-elle.
- Maintenant, je fais la guerre, répond-il.
- Mais après ?
- J’espère qu’elle ne finira jamais !
Ce qu’Anna Politkovskaïa écrit dans ses reportages ne plaît pas.
Les femmes sont violées, la police le sait, mais ne fait rien. Un médecin lui explique qu’une fois violée, les femmes sont impures, plus personne ne veut d’elles !
Le premier ministre du pays a 30 ans. Il s’est retrouvé à ce poste grâce à une bombe qui a anéanti le gouvernement précédent. Il va constituer une armée privée avec l’argent de l’Etat….soutenu par Moscou. Anna va l’interviewer et transcrire fidèlement ses réponses dans son journal… ce qui aura pour effet de le mettre hors de lui !
Par la suite, Anna va dénoncer le fait que les soldats veulent être payés plus, boivent et sont drogués pour aller au combat.
Elle va trop loin dans les articles qu’elle publie !
Ayant participé aux négociations lors de la prise d'otages du théâtre Doubrovka réalisée par des terroristes Tchétchènes à Moscou, Anna part deux ans plus tard pour négocier avec les terroristes lors de la prise d’otage dans une école du Beslan (Ossétie-du-Nord-Alanie). Mais elle ne pourra s’y rendre, car elle sera empoisonnée en buvant un thé dans l’avion. Elle s’en sortira, mais ce sera là un avertissement clair qu’elle va cependant braver.
On lui reproche de juger. Elle s’en défend : elle est journaliste, elle ne juge pas, elle ne raconte que les faits…. mais le prix à payer est dément, conclut-elle !
Un passage savoureux – si l’on peut dire – de la pièce, est le récit d’une fiction TV qui passe sur la première chaîne russe, dans laquelle, les Russes sont décrits comme des sauveurs de la Tchétchénie.
Anna Politkovskaïa est plusieurs fois jugée, emprisonnée. Elle se réfugiera à l’étranger, mais retournera toujours dans son pays, pour dénoncer la vérité.
Elle finira assassinée dans sa cage d’escalier.
En choisissant d’interpréter ce texte, Caroline Rochefort montre la grande palette de son talent de comédienne. Cela ne fait que conforter la raison de sa nomination comme meilleure comédienne aux Molières.
Anna Politkovskaïa - femme non rééducable, de Stefano Massini, est une pièce qui fait violemment écho à la guerre en Ukraine : désinformation, milices privées, recrutement de prisonniers comme soldats, tentative d’empoisonnement d’Alexeï Navalny…
C’est aussi un hommage à tous ceux qui veulent clamer la vérité, mais que l’on a bâillonné et que l’on continuera d’essayer de faire taire.
Une pièce à voir quand on s’intéresse à ce qui se passe aujourd’hui aux portes de l’Europe, et quand on sait comment l’histoire se répète.
Régis Gayraud
Anna Politkovskaïa, journaliste d’investigation, militante des droits de l’homme, dérange et parle trop. Unique journaliste russe à couvrir la guerre en Tchétchénie, elle dénonce les atrocités commises et vit sous la menace constante. Travailleuse infatigable, elle est persuadée que le courage civique individuel finira par avoir raison de l’État despotique. Le 7 octobre 2006, elle est retrouvée assassinée dans la cage d’escalier de son immeuble à Moscou.
Face à la volonté de certains pays de contrôler l’information et de faire taire ceux qui portent un discours divergent de la propagande officielle, ce texte puissant et d’une lucidité implacable, nous rappelle la nécessité absolue et sans concession de la liberté de la presse, un des principes fondamentaux de la démocratie.
Vidéo du spectacle (non disponible)
Photos © Louis Josse
Créatifs :
Texte : Stefano Massini
Traduit de l’italien par Pietro Pizzuti
Mise en scène :Tadrina Hocking assisté de Stéphane Duclot
Lumières : François Leneveu
Costumes : Julia Allegre
Création son : Elliot Goyave
Producteurs : Matrioshka Productions, Atelier Théâtre Actuel et Chouette Cie
Distribution
:
Pierre Bercot et Caroline Rochefort.
Caroline Rochefort et Pierre Bercot
Photo : Régis Gayraud
“Anna Politkovskaïa-Femme non rééducable” est produit par Matrioshka Productions, Atelier Théâtre Actuel et Chouette Cie, avec le soutien de : Petit Théâtre de Rueil, Réseau ACTIF, Association Pierre Lafue, Russie Liberté, FIDH, La Maison des Journalistes et la Ville de Paris
Lieu : Théâtre du Balcon 38 rue Guillaume Puy, 84000 Avignon.
Réservations : |
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